Tous les dimanches, après la messe, on me lâche dans le préau, à l’heure de la récréation. Là, je cause avec les détenus : il le faut bien. […] Ils m’apprennent à parler argot, à, rouscailler bigorne, comme ils disent.
C’est toute une langue entée sur la langue générale comme une espèce d’excroissance hideuse, comme une verrue. Quelquefois une énergie singulière, un pittoresque effrayant : il y a du raisiné sur le trimar (du sang sur le chemin), épouser la veuve (être pendu), comme si la corde du gibet était veuve de tous les pendus. La tête d’un voleur a deux noms : la sorbonne, quand elle médite, raisonne et conseille le crime ; la tronche, quand le bourreau la coupe. Quelquefois de l’esprit de vaudeville : un cachemire d’osier (une hotte de chiffonnier), la menteuse (la langue) ; et puis partout, à chaque instant, des mots bizarres, mystérieux, laids et sordides, venus on ne sait d’où : le taule (le bourreau), la cône (la mort), la placarde (la place des exécutions). On dirait des crapauds et des araignées. Quand on entend parler cette langue, cela fait l’effet de quelque chose de sale et de poudreux, d’une liasse de haillons que l’on secouerait devant vous.
Le dernier jour d’un condamné / Victor Hugo
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