Tumulte d’angoisse suscité par l’attente de l’être aimé, au gré de menus retards (rendez-vous, téléphones, lettres, retours).
Il y a une scénographie de l’attente […] Cela se joue comme une pièce de théâtre.
Le décor représente l’intérieur d’un café ; nous avons rendez-vous, j’attends.
Dans le Prologue, seul acteur de la pièce, je constate, j’enregistre le retard de l’autre ; ce retard n’est encore qu’une entité mathématique, computable ; le Prologue finit sur un coup de tête : je décide de « me faire de la bile », je déclenche l’angoisse d’attente.
L’acte I commence alors ; il est occupé par des supputations : s’il y avait un malentendu sur l’heure, sur le lieu ? […] Que faire ? Changer de café ?Téléphoner ? Mais si l’autre arrive pendant ces absences ?
L’acte II est celui de la colère ; j’adresse des reproches violents à l’absent : « Tout de même, il (elle) aurait bien pu… « , ‘Il (elle) sait bien… » […] Ah ! si elle (il) pouvait être là, pour que je puisse lui reprocher de n’être pas là !
Dans l’acte III, j’atteins l’angoisse toute pure : celle de l’abandon ; je viens de passer en une seconde de l’absence à la mort ; l’autre est comme mort : explosion de deuil : je suis intérieurement livide. Telle est la pièce ; elle peut être écourtée par l’arrivée de l’autre ; s’il arrive en I, l’accueil est calme ; s’il arrive en II, il y a « scène » ; s’il arrive en III, c’est la reconnaissance, l’action de grâce : je respire largement, tel Pelléas sortant du souterrain et retrouvant la vie, l’odeur des roses.
Fragments d’un discours amoureux / Roland Barthes
Moralité : si vous êtes en retard à un rendez-vous, abusez largement.
Votre commentaire